samedi 24 mars 2012

Ancien Fauconier

L'epervier en Tunisie 









    L’Association des Fauconniers et  Autoursiers Français a reçu de M. le Dr Mathis, de l’Institut Pasteur de Tunis, une note des plus intéressantes sur l’emploi de l’épervier pour la chasse à la caille dans une région d’ailleurs très limitée du cap bon. L’espace dont je dispose ici ne me permettant pas de reproduire intégralement ce travail qui compte dactylographiées, je me vois dans l’obligation de le « télescoper » quelque peut ne m’efforçant de bien en faire ressortir tout l’intérêt. En même temps je tiens à remercier comme il convient le Dr Mathis pour la documentation originale et inédite que nous lui devons sur des pratiques si peu connues et encore aujourd’hui si intensément vivantes.
     Pourquoi ce genre de chasse a-t-il pu subsister là et non ailleurs ? C’est que la presque ile du cap bon est une région privilégiée, constituant pour tout les migrateurs un relais d’une importance vitale. Avant de traverser la Méditerranée en son point le plus étroit les oiseaux qui au printemps remontent du sud doivent nécessairement séjourner sur cette pointe de la terre africaine, ou du moins y passer : on y rencontre donc, à des moments précis et rapprochés, d’une part le rapace qui jouera le rôle de chasseur et de l’autre la caille qui lui servira de gibier.
     D’une façon générale les territoires du Cap Bon appartiennent à la couronne beylicale. Les droits de chasse à l’épervier et l’exploitation des abeilles qui produisent un des miels les plus estimés de la régence semblent avoir été concédés depuis des siècles aux habitants de la région, qui, de toute façon en jouissent des temps immémorial. Dans le djebel ou zone montagneuse au nord du village d’Haouaria se trouvent des ravins profonds, boisés de chênes verts et d’oliviers sauvages. Cette végétation fraiche et verte constitue un lieu de repos idéal pour les migrateurs pendant les fortes chaleurs de la journée. Ces ravins appartiennent en totalité a certaines familles qui les exploitent en commun et se les transmettent par indivis de père en fils ; il est donc impossible à un nouveau-venu d’en acquérir la moindre parcelle.
    Dès le mois de mars les oiseleurs tendent à l’orée et dans l’intérieur même de ces petits bois un grand nombre de filets verticaux en fil de lin noir qui se confondent avec l’ombre portée par les arbres, de sorte que les oiseaux s’y jettent sans les voir. Les mailles ont cinq centimètres de coté. Le fil doit être à la fois solide et mince mais non coupant. Le n°6 est le plus employé. Les filets ont, en général, deux mètres de large sur trois de haut, mais il en est de plus petit. Les deux cotés coulissent verticalement, sur deux cordes tendues chacune entre une branche et une grosse pierre, par des anneaux de trois-quatre centimètres formés des brindilles tressés a la main. Le bord supérieur est a peine soutenu par de petites feuilles sèches tenant à des branchettes enroulées en une espèce de cordon horizontal. Le bas est libre. Au moindre choc le haut se décroche et le filet s’affaisse en formant une poche. Les ailes de l’oiseau y sont immobilisées ; il tombe à terre sans pouvoir se dégager.
    Réunis par groupes, les fauconniers attendent en cassant la croute et en devisant, se racontant leurs chasses passées, discutant des meilleurs procédés de capture et de dressage. Ces réunions d’hommes du même métier, passionnés du même sujet, sont un des éléments les plus importants pour le maintien des bonnes traditions.  Les équipes ainsi formées parcourent sans cesse le petit bois, enlevant les oiseaux pris et remettant en place les filets. Cette surveillance représente un véritable travail. Il est essentiel que l’épervier ne reste pas trop longtemps à se débattre, car une blessure aux pattes ou aux ailes le rendrait inapte à la chasse. Sitôt dégagé il est ficelé d’une manière très ingénieuse par un lien qui lui immobilise complètement les deux ailes a leur base.
    Le moment le plus riche en captures varie d’un jour à l’autre, le plus souvent c’est le début de l’après-midi. Tout ce qui pénètre dans le sous-bois est pris ; buses, loriots, tourterelles, etc. Le matin on trouve souvent des chouettes ou hiboux, parfois même des chauves-souris dans les mailles du filet. Tout ce qu’il y a là-dedans d’à peu près mangeable est aussitôt mis à la broche.
    Une autre méthode, plus sélective, mais plus difficile, peut toujours être pratiquée par ceux qui ne sont pas copropriétaires d’un ravin. On établit à flanc de colline un certains nombres d’aires bien dégagées, large de cinq à six mètres et orientées selon les directions habituelles des vents dominants. Un filet à tirasse y est disposé, dont la corde de manœuvre aboutit à une hutte en pierre sèches camouflées de branchage ou l’oiseleur se tient à l’affut. En avant du filet deux petits oiseaux servent d’appât. Ils sont attachés par les pattes à un bâton d’environ quatre-vingts centimètres posé sur le sol mais que l’oiseleur peut, de sa hutte, redresser en tirant sur une cordelette. Ce sont des Bruants Proyers, vulgairement  connus en Tunisie sous le nom de gros-becs. Leur couleur est à peu près celle d’un moineau femelle, leur taille entre celle-ci et une alouette. On les choisit comme appâts en raison de leur instinct particulier : dés qu’ils aperçoivent au plus haut du ciel un rapace encore invisible pour l’homme, loin d’être médusés et immobilisés comme la plupart des volatiles, ils se dressent sur leurs pattes et font entendre une série de petits cris avertisseurs. Tout doucement l’oiseleur redresse le bâton autour duquel les bruants se débattent et voltigent tandis que le rapace s’oriente face au vent et fond sur eux comme l’éclair. Au moment ou,  descendant en piqué de toute sa vitesse, il est sur le point de s’en saisir, le fauconnier doit d’un coup brusque rabattre son filet à tirasse qui, aidé par le vent, tombe de lui même sur l’épervier. Tout se passe en un clin d’œil : une seconde trop tôt et le rapace aperçoit le filet, qu’il évite ; une seconde trop tard et le filet retombe à vide tandis que l’autre se sauve avec l’un au moins des deux bruants. Ce mode de capture demande donc des qualités très sérieuses de patience, de coup d’œil et de promptitude qui, développées par une longue pratique, contribuent à la formation d’une véritable caste.
   Avec l’un comme avec l’autre de ces deux systèmes, le nombre de prises est très variable. Certains jours de grands passages. Il peut atteindre cinquante ou soixante ; pour la saison et toute la région, il peut atteindre, bon an mal an, un millier d’éperviers des deux sexes.    
    Les males ou mouchets sont donnés en amusement aux enfants de la coterie ; les femelles seules sont utilisées pour la chasse. On sait que chez l’épervier commun la différence de taille entre les deux sexes est particulièrement accentuée. Les femelles, donc, sont soumises à un examen attentif. Il existe entre elles des variations considérables dans le comportement et les aptitudes à la chasse. Le bon fauconnier doit, du premier coup d’œil, jauger la valeur de la bête, ce qui exige un long apprentissage. Il examine ensuite attentivement tous ses organes : pattes, serres, attitude générale, port de tète, etc. Chacun a sa méthode qu’il garde jalousement secrète. Tous les soirs, réunis à la lueur des torches dans un café maures, les oiseleurs mettent aux enchères leurs captures de la journée c’est là un spectacle des plus pittoresques, montrant bien la profonde passion des populations du cap bon pour tout ce qui touche à la chasse. Pour bien réussir il faut que l’épervier mis en dressage soit racé, ardent, combatif et vigoureux. Le succès dépend dans une large mesure du choix de la bête et du moment de sa capture. Les plus beaux parmi les premières femelles de la saison atteignent assez couramment un millier de francs le soir meme de leur capture (1946) ; quant aux sujets déjà dressés il est impossible de s’en procurer à aucun prix.
    Les premiers jours l’oiseau est gavé à la main. Après lui avoir rempli le jabot au maximum on le laisse digérer complètement. Il est d’autre part essentiel pour le tenir en bonne santé, de le laisser de temps en temps jeuner pendant toute une journée. Très vite l’épervier s’habitue a l’homme, a ses mouvements, à sa voix, aux cris mêmes des enfants et apprend a très bien reconnaitre son propriétaire. Le dressage proprement dit commence dès qu’il consent à manger de lui même en présence de l’homme ; il se poursuit comme celui de tous les autres oiseaux de la fauconnerie. Pendant cette période, on peut voir dans les rues d’El Haouaria et de Kélibia des dizaines de fauconniers devisant et consommant dans les cafés maures avec leur épervier sur l’avant bras.
    Si l’apprivoisement est rapide le contraire ne l’est pas moins ; parfaitement dressée et apprivoisée, une belle femelle offerte au Dr Mathis est redevenue à peu près sauvage pour avoir été laissée seule pendant quarante-huit heures dans une pièce fermée ou elle ne voyait personne.
    Il convient de signaler quant à l’équipement, deux points intéressants. Pour la chasse l’épervier porte sur le haut de la queue un léger grelot. Il porte de même a ses jets une fine cordelette, longue d’environ deux mètres, qui, pendant le vol flotte librement en faisant une grande boucle, formée de deux fils tressés en sens inverse de manière a rester toujours parfaitement ouverte. Nous en verrons plus loin l’utilité.
    C’est la caille seule que chassent à l’épervier les fauconniers du cap bon. Par une disposition naturelle remarquable, il se trouve que le passage de ce rapace (fin mars et début avril) précède de quatre à six semaines la grande migration des cailles qui dure tout le mois de mai. Venant du sud, elles sont alors excessivement grasses et représentent un mets de choix, apprécié des plus fins gourmets. L’intervalle qui sépare les arrivées respectives de ces deux migrateurs est juste ce qui convient pour le parfait dressage de l’épervier.
    Tenant celui-ci couché dans la paume de la main droite, la queue et les pattes allongées entre le pouce et l’index, les ongles en dessus, le chasseur bas céréales et broussailles avec un long bâton qu’il manie de la main gauche. La caille part sous les pieds et file droit devant ; l’homme lui jette au derrière son épervier qui déploie ses ailes ; rectifie sa position et en quelques secondes, projetant en avant ses serres aux longs doigts, cueille en plein vol son gibier terrifié puis, alourdi par sa capture, va se poser quelques mètres plus loin. Le grelot aide a le retrouver ; il n’est pas absolument nécessaire, mais fait gagner du temps et permet le plus souvent d’arriver avant que la caille ne soit tuée. Le fauconnier s’approche, la prend en passant la main entre elle et l’épervier qu’il fait sauter sur son avant-bras gauche, la met dans sa gibecière, reprend l’épervier, dans la main droite et poursuit sa chasse.
    Pour éviter de déclencher chez son oiseau un réflexe de fuite l’homme s’approche par un véritable glissement sans aucun geste de la tète ni des bras. Pendant ce temps la cordelette traine à terre ; pour être assuré de la reprise il n’y a qu’à poser l’extrémité du bâton dans la boule qu’elle forme sur le sol.
    A la quatrième ou cinquième prise on stimule l’ardeur de l’épervier en lui donnant une bec cade prise sur les pectoraux de la caille. Par bon passage et avec un oiseau bien dressé, un chasseur moyen peut prendre trente à quarante cailles dans sa journée. Un chasseur habile peut aller jusqu’à cent, mais c’est là un record dont on parlera pendant des années. Le même épervier peut ainsi, grâce à un habile catapultage, chasser toute la journée et plusieurs jours de suite sans fatigue apparente. Le soir on lui donnera demi-gorge en le laissant surtout boire autant que bon lui semblera. 
    Ce qui frappe le plus le spectateur c’est la rapidité avec laquelle l’oiseau de proie fonce sur le gibier et le saisit. Tout se passe en quelques secondes. Le rapace donne l’impression d’être le maitre absolu et de ne jamais pouvoir manquer le malheureux volatile qu’il poursuit. Le Dr Mathis dit cependant avoir vu manquer une caille qui par hasard, venait vers lui. Intrigué par cette présence insolite, l’épervier a été distrait quelques dixièmes de secondes, ce qui a suffi. Par là on peut se rendre compte de la précision, de la perfection d’une pareille chasse. C’est pour la coterie un sujet de plaisanterie toujours renouvelé que la vue d’un novice ou d’un maladroit qui revient de la chasse avec sa gibecière vide et son seul bâton dans la main.
    Après le grand passage des cailles, vers la fin de mai, les fauconniers libèrent eux-mêmes leurs éperviers dressés. C’est là une coutume générale. Il est, en effet, difficile et onéreux d’entretenir ces rapaces jusqu’à l’année suivante, en raison de leur appétit et du régime délicat dont ils ont besoin pour se maintenir en bonne santé d’une part et de l’autre des accidents qui peuvent survenir pendant une si longue captivité : pennes abimées, fractures des pattes, ongles de serres arrachés, etc. A quoi bon d’ailleurs, prendre cette peine puisque l’année suivante, juste en temps voulu, on est sur de pouvoir s’en procurer d’autres autant qu’on peut en avoir besoin.
    Quelques fauconniers particulièrement habiles et passionnés conservent parfois en captivité certains sujets exceptionnels. C’est ainsi que Si Mahmoud Znaidi, amine agricole de la région de kélibia, a gardé deux champions pendant sept et neuf ans. A moins d’être soi-même fauconnier il est difficile d’imaginer la somme de patience et de soins qu’il a fallu pour arriver à un pareil résultat. En lisant ce qui précède une idée vient naturellement à l’esprit : au mois de mai la chasse est fermée. Le cas est prévu. Dans le texte de l’arrêté, pris à ce sujet en 1947 par le Directeur de l’Economie générale on lit à l’article 5 : « la chasse à tir de la caille de printemps est interdite. Le droit de chasse à l’aide de l’épervier ou du hobereau que des tunisiens des cheikhats d’EL Haouaria, de Kélibia et des Médeiffa (caidat de Nabeul) tiennent de titres anciens et d’usages remontant à un temps immémorial continuera à s’exercer conformément aux traditions locales. Les cailles ainsi capturées ne pourront être ni colportées ni vendues en dehors des cheikhats susvisés pendant la période de la fermeture générale de la chasse. »
    Le maintien de ce texte est du à l’initiative de M. Poggi, brigadier-chef des eaux et forets au cap bon. C’est à son obligeance que le Dr Mathis doit d’avoir pu rencontrer les fauconniers les plus qualifiés et rassembler la documentation qui a servi de base à sa note, ce pourquoi nous-mêmes devons remercier ici M. Poggi en même temps que le Dr Mathis.
    De ce que nous venons de voir ressort bien la réelle importance de la fauconnerie dans la région du cap bon, véritable industrie artisanale qui contribue à faire vivre toute une corporation d’oiseleurs. Elle semble avoir des chances sérieuses de se maintenir encore longtemps. Les mesures de protection prises par le Directeur de l’Economie générale sont des plus judicieuses. Le Dr Mathis termine sa note en exprimant le vœu que des concours soient organisés avec prix annuels destinés à encourager et développer l’art des fauconniers et que d’autre part la Société d’Histoire Naturelle qui vient de se fonder à Tunis mette en action tous les moyens dont elle dispose pour faire connaitre les traditions de ce magnifique folklore tunisien. 
                                                              
                                                                                                    Texte traité par Mr Triki Monem

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